Quelle place occupe le sacré dans l’art urbain, réputé transgressif et contestataire ? Réalisées au pochoir, à la bombe, au rouleau, ou bien sérigraphiées, des images de dévotion et des copies des tableaux religieux peuplent bel et bien certains murs de rues et d’églises. Il suffit de regarder les Madones du graffeur C215 pour saisir la dimension spirituelle de son travail au style pop hypercoloré. Ou admirer les collages mis en situation dans les rues de Naples par Ernest Pignon Ernest. Ses dessins revisitant les tableaux religieux du Caravage s’inscrivent dans des lieux symboliques où ils prennent tout leur sens : ainsi, la Flagellation du Christ collée sur une colonne de San Domenico Maggiore. La rencontre entre une œuvre, un lieu et sa mémoire, est essentielle.« Les églises sont puissantes par nature, elles y expriment la foi des fidèles ; quand je colle sur des églises, je prends toujours des personnages de la Bible pour garder un sens » dit Julien de Casabianca, dont les collages de la Descente de Croix du primitif flamand Van Der Weyden ornent San Petru de Luri (Corse). « La puissance de la religion est présente dans l’art de la rue », précise la star du street art Bansky ; soit en célébrer un aspect (les anges, la mort), soit s’en servir pour questionner la vie et la religion même. Le graffeur Žilda (qui a reproduit l’Annonciation de Gentileschi) ajoute que peindre des créatures ailées ne fait pas de lui un mystique mais lui permet d’aborder l’irrationnel et de surprendre le passant. La finalité reste malgré tout de capter, surprendre et interroger : comme le fait Bansky à Naples avec sa Madone au pistolet , une figure sacrée baroque auréolée d’une arme. Une rencontre improbable qui interpelle le croyant et l’habitant napolitain sur la violence mafieuse.

Détourner le sens et révéler est le propre de l’art urbain. Les icônes chrétiennes en voient parfois « de toutes les couleurs », en particulier chez Inti (« dieu soleil » en quechua), un artiste chilien reconnu, au style très coloré. Originaire de Valparaiso, berceau du graffiti contestataire des années 1970, sa devise est Couleur, Carnaval et Résistance. Il juxtapose croyances amérindiennes, traditions, christianisme et dénonciations sociales. Dans ses fresques, Kusillo-le-clown, le carnaval, ou la marionnette andine reviennent souvent, tout comme l’épi de maïs ; les têtes de morts et les cœurs évoquent les mythes précolombiens. Mythes et figures chrétiennes se croisent . Ainsi, Kusillo remplace l’Enfant Jésus dans les bras d’une Vierge armée. Le Bon Pasteur avec sa brebis est un migrant au regard interrogateur. On croit voir la Vierge à l’Enfant ou une Pieta, mais il s’agit en fait de la déesse de la fécondité Coatlicue, un jaguar sur ses genoux. Inti désacralise les figures religieuses pour révéler un sens. Il interroge la peur, la violence, la pauvreté et questionne nos limites. Sa fresque de Paris, Madre Secular II (Mère Laïque), rappelle l’image de dévotion « le Cœur Immaculé de Marie » sur un fond floral mais elle porte le collier de Coatlicue, et des cartouches. Dans sa main, une pomme remplace le cœur : pas celle d’Eve, mais celle de Newton, fruit de la connaissance. La lettre G et les constellations symbolisent la loi de la gravité théorisée par Newton. Au final c’est une allégorie de la science, aux doux tons violet/ocre jaune, qui reste énigmatique, poétique et surréaliste.

Voir les œuvres à Paris

Inti – Madre Secular II – 81 boulevard Vincent Auriol – 13e

. C215 – Vierge à l’enfant – 11, rue Jean-Sébastien Bach – 13e

. C215 – L’extase de Ste Thérèse d’Avila – 1 avenue Pierre de Coubertin – 14e